Des physiciens attrapent les équations au lasso |
Afin d'étudier certains problèmes mathématiques, des chercheurs français se sont penchés sur l'art pratiqué par les cow-boys |
Les cow-boys ne sévissent
pas qu'en Amérique. Certains jouent même au lasso dans des laboratoires
de physique parisiens. Basile Audoly (université
Pierre-et-Marie-Curie), Pierre-Thomas Brun (Ecole polytechnique de
Lausanne) et Neil Ribe (université Paris-Sud-Orsay) sont de ceux-là.
Mais c'est bien aux Etats-Unis qu'ils ont exposé leur théorie sur l'art
du lasso, le 4 mars, à Denver (Colorado), lors de la réunion annuelle
de la Société américaine de physique. C'est à la version artistique de la technique du lasso qu'ils se sont intéressés plutôt qu'à celle, professionnelle, de la capture de bestiaux. Ils voulaient comprendre comment réaliser des figures consistant à faire tourner une boucle à l'horizontale, ou à la verticale, voire à se glisser à l'intérieur du lasso bouclé. Ces chercheurs ont poussé la rigueur scientifique très loin. Ils ont fait appel aux conseils d'un professionnel mexicain, Jesus Garcilazo, officiant pour le parc Eurodisney. Après de premiers essais avec une chaînette de salle de bains et un bout de Scotch pour fermer la boucle, ils ont fini par acheter une corde aux Etats-Unis. A Orsay, ils ont fabriqué un robot, assez grossier, manieur de lasso. Enfin, à Denver, ils ont trouvé un cow-boy de plus, Craig Ingram, filmé par la BBC, qui a popularisé ses exploits. L'intérêt de ces physiciens pour cet art est lié à leurs compétences en matière de " tiges élastiques et pendantes ". Ce terme désigne aussi bien les cheveux, les coulées de miel, les câbles de communication transatlantiques, les molécules d'ADN... Bref, tout ce qui a une section bien plus faible que sa longueur. Le lasso en est un exemple de plus, avec la particularité que cette tige ou ce fil se referme en boucle sur lui-même. " La littérature scientifique était muette sur ce cas, alors que c'est un objet très connu ", note Pierre-Thomas Brun. " Il y a un intérêt fondamental à comprendre pourquoi ces objets si différents se comportent plus ou moins de la même façon. La réponse est dans leur géométrie et le lien entre celle-ci et la dynamique qui les habite. Dans ce contexte, le lasso apparaît comme une opportunité pour comprendre un peu mieux ces tiges ", justifie celui qui a abordé le sujet à la fin de sa thèse, consacrée aux coulées de miel sur tapis roulant. " L'objet a l'air simple mais il est en fait difficile à décrire théoriquement ", explique Dominic Vella, de l'université d'Oxford, qui s'intéresse lui aussi à des problèmes " concrets " comme le retournement du parapluie à cause du vent. Détordre la cordeAu final, la théorie, fort heureusement confirmée par des heures de pratique robotisée ou manuelle, indique qu'en fonction de la vitesse de rotation trois formes successives apparaissent. La forme " coudée ", où la boucle est fermée mais quasi horizontale. La forme " cintre ", où la boucle s'ouvre mais reste verticale. Puis la forme recherchée, dite " plate ", où la boucle est ouverte et horizontale. L'amplitude du mouvement compte peu. L'autre paramètre est la longueur de corde impliquée dans la boucle, qui peut varier en présence d'un nœud coulant. L'étude prédit des zones favorables à la réalisation de la figure de la boucle plate. L'idéal est de tourner à deux tours par seconde avec au moins 70 % de corde dans la boucle. " L'erreur du débutant est de partir d'une petite boucle ", constate Pierre-Thomas Brun. A moins d'un tour par seconde, guère d'espoir non plus. Autre petit secret, il faut " détordre " régulièrement la corde à l'endroit où on la tient, grâce à un petit mouvement de poignet, afin d'éviter qu'elle ne finisse en hélice comme les fils des anciens téléphones. " Nous n'avons pas fait cela juste pour le plaisir. Les équations de base, qui ne sont pas si difficiles à poser, sont en pratique difficiles à résoudre et ne sont pas bien comprises. Le lasso est donc un problème modèle pour aborder des questions fondamentales. Cette étude permet d'augmenter les connaissances sur ces équations ", résume Pierre-Thomas Brun. En particulier, les chercheurs sont parvenus à tenir compte de la friction au niveau du nœud coulant. " La philosophie est d'utiliser des objets simples pour capturer ce qui est important dans les équations abstraites qui les décrivent ", complète Dominic Vella. A défaut de vaches, les chercheurs attrapent des réalités qui leur avaient jusque-là échappé. D L |
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mardi 25 mars 2014
LM du 26 03 2014
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