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mardi 9 août 2022

Les cousins Baudot


   
Une soeur de ma grand-mère paternelle, Anne Lemerle avait épousé Marcel Baudot, un de ses condisciples de l'Ecole des Chartes. J'avais souvent entendu parler de leur passion commune pour l'histoire et les archives, et en particulier de leur ouvrage commun " Le Grand cartulaire du chapitre Saint- Julien de Brioude. Essai de restitution" publié à Clermont-Ferrand, aux éditions de Bessac en 1935.

    Voici le compte rendu qu'en donnait dans la Année 1936 97 pp. 394-395 :

    Anne Lemerle et Marcel Baudot débutent par un magistral exposé de l'histoire des cartulaires du chapitre Saint-Julien de Brioude. Ces recueils étaient au nombre de deux, et l'on distinguait, au xviie et au xviiie siècle, le petit cartulaire ou Liber Viridis et le grand cartulaire ; le premier datait de la fin du хiiiе siècle et le second, le seul dont il est ici question, avaitété constitué à la fin du xie siècle ; au cours du xviie siècle, plusieurs feuillets en avaient été arrachés dans le corps du manuscrit et avaient disparu. Mais, outre ces deux recueils, aujourd'hui perdus et qui ont été détruits sans doute au cours de la tourmente révolutionnaire, n'en a-t-il pas existé un troisième? A la fin du xviie siècle, un généalogiste auvergnat du nom de Jean-Pierre de Bar, au service de la famille de Bouillon-Latour, l'a prétendu. En 1694, il présenta, en effet, à MM. de Gaumartin et d'Hozier, amis du cardinal de Bouillon, membre le plus vaniteux et le plus infatué de noblesse de la maison de Latour-d'Auvergne, des chartes établissant d'une manière péremptoire la filiation des Bouillon-Latour aux anciens ducs d'Aquitaine. Les textes mis à jour étaient consignés sur six feuillets que de Bar prétendait appartenir à une recension jusqu'alors ignorée du grand cartulaire de Brioude, aussi ancienne et plus complète que celle alors connue. Or, par un hasard étrange, cette découverte comblait une partie des lacunes constatées dans le grand cartulaire et aussi dans l'arbre généalogique des Bouillon-Latour, le tout à la plus grande gloire de cette maison. Dès 1696, une si bonne fortune parut suspecte et, quatre années plus tard, le caractère apocryphe des feuillets découverts se révéla incontestable.

    Dès 1698, en effet, le cardinal de Bouillon avait été disgracié et, le 5 août 1700, Jean de Bar, son chargé d'affaires, fut arrêté comme faussaire : au cours d'une perquisition opérée à son domicile, on découvrit, outre une officine de documents apocryphes, des projets de brouillons des fameux feuillets soi-disant mis à jour. Désormais, l'authenticité de la découverte de Jean de Bar n'était plus défendable.
L'ouvrage de M. et de Mme Baudot n'est autre qu'une réédition du cartulaire de Brioude déjà publié en 1863 par Doniol. Mais, tandis que l'érudit du xixe siècle n'avait utilisé que le manuscrit latin 9086 de la Bibliothèque nationale, très incomplet et souvent fautif, les deux auteurs en ont connu quatorze autres. Grâce à ces variantes, ils ont pu reconstituer du Grand Cartulaire de Brioude un texte plus complet comprenant 454 chartes au lieu des 341 comprises dans l'édition de Doniol. Les deux auteurs n'ont pas omis, dans leur édition, les actes faux soi-disant découverts par de Bar, en raison de la part de vérité que peuvent, quant au fond, renfermer ces apocryphes. Mais l'édition Doniol a servi de base au présent travail et les deux auteurs se sont contentés d'apporter des additions et des corrections à la publication de 1863.
 
    L'ouvrage de M. et de Mme Baudot constitue un modèle d'édition critique ; exécuté avec un soin consommé, il fait le plus grand honneur à l'érudition française.
 
                                                                                                    Et. Delcambre.
 
   En revanche je n'avais jamais entendu parler du rôle joué par ce couple d'érudits   pendant la guerre, periode sur laquelle Marcel Baudot a pourtant beaucoup écrit.
 
 
 Sous le nom de code "commandant Breteuil" il occupa d'importantes responsabilité en Basse-Normandie au sein de la Résistance, notamment en qualité de Chef des Forces françaises de l'Intérieur de l'Eure (1943-1944); membre du réseau "Cohors-Asturies", il était en particulier chargé de centraliser les renseignements concernant les rampes de lancement des V1, les emplacements de DCA, les productions de matériel destinées à l’Allemagne. On trouve une petite biographie par André Perreaux dans un article intitulé " Une vie de chercheur sur la Normandie : Marcel Baudot" paru dans la revue Études Normandes ( 41e année, n°2, 1992). 
 
 

Le Pavillon Fleuri, à Evreux 
 



 Anne Lemerle s'est beaucoup interessée à l'histoire de l'Auvergne, et en particulier à tout ce qui pouvait toucher aux origines de sa famille, et au domaine de Folgoux acquis au lendemain de la Révolution. Ainsi par exemple dans cet article sur la baronnie du Clavelier, qui figurait, ruines et vestiges, dans les titres de propriété de Folgoux.
 
 
 

vendredi 5 août 2022

Le notaire royal 


Oui, notaire royal - De plus homme d'honneur. - Cela s'en va sans dire, Molière, Éc. des maris, III, 5.

On trouve de nombreux notaires royaux dans la généalogie Lemerle. C'est pourquoi j'ai trouvé utile de rassembler quelques informations sur le sujet.

Rédigeant et authentifiant les actes engageant deux parties, les notaires jouent un rôle essentiel dans la société depuis deux millénaires. A l’origine secrétaire d’un riche citoyen romain, le notarius va voir son statut évoluer et être investi par une autorité au nom de laquelle il exerce : le roi, un seigneur, ou encore un évêque. 

Jusqu’à la fin du XVIe siècle, le notaire n’était qu’un des quatre intervenants – aux côtés du tabellion, du garde-notes et du garde-scel – dans la production d’actes privés : leur authentification ne lui incombait pas encore, puisqu’elle demeurait le fait du « garde du scel royal établi par le roy aux contrats de la chancellerie du pays et duché », et le devenir de l’acte, produit en un unique exemplaire original, lui échappait totalement dès la rédaction achevée.

 L’édit de Villers-Cotterêts, daté de 1539, est fondamental pour le notariat car il institue des bases solides pour le métier, qui sont encore respectées aujourd’hui : l’obligation de rédiger les actes en français (jusque là le latin était majoritairement utilisé) et de conserver ses minutes ainsi que celles de ses prédécesseurs de manière pérenne.

À partir de 1597, Henri IV, soucieux d’homogénéiser les statuts afin de mieux maîtriser la vénalité des offices, incorpore les notaires royaux héréditaires au domaine royal, avec les « droits, profits et revenus attribuez aux tabellions et garde-notes »

2016 07 544 F1bLe notaire royal agit donc au nom du roi ; les actes qu’il valide feront foi devant la justice. Par conséquent, n’est pas notaire qui veut. Il faut pour cela remplir certaines conditions, notamment satisfaire à une enquête de bonne vie et mœurs, être de religion catholique et bien sûr recevoir des lettres de provision d’office de la part du roi.
Cet office est une charge vénale : afin de pouvoir l’exercer, le notaire achète sa charge au roi. Ce système, étendu à d’autres domaines dans lesquels le roi délègue un pouvoir, permet à la monarchie de s’assurer d’importants revenus.
 
Le droit de marc d’or des offices était une taxe censée correspondre au droit de serment reçu au nom du roi par un officier du siège royal auprès duquel des notaires avaient été créés. Il variait suivant la valeur de la finance de l’office et reflétait globalement l’honneur et le rang qu’il conférait à son titulaire ]Jean Nagle, Le droit de marc d’or des offices, Genève, Droz,…. Sous Louis XIV et Louis XV, ce droit s’élevait invariablement à 42 livres pour les notaires à la résidence de Montluçon, qu’ils fussent attachés à la ville proprement dite ou à la châtellenie tout entière. Cela atteste également le rôle de siège subalterne de juridictions royales qu’occupait Montluçon, située entre les gros bourgs (marc d’or de 27 livres) et les villes moyennes, chefs-lieux de bailliage ou sièges de petits évêchés (marc d’or de 54 livres). Si l’on se réfère à cette taxe, on constate qu’un notaire royal à Montluçon paie presque deux fois moins qu’un confrère à la résidence de Moulins (81 livres). Inversement, un notaire de Montluçon s’acquitte d’un droit sensiblement plus élevé que ses confrères aux résidences d’Hérisson et de Saint-Amand (27 livres), qui sont également sièges de châtellenie. 
 
À partir de 1597, les notaires royaux deviennent propriétaires à demeure de leurs offices et ont la faculté de les transmettre librement à leur héritiers, après paiement de la taxe d’hérédité. La vente des offices n’en fait pas moins l’objet de contrats en bonne et due forme, généralement passés par-devant notaire ou, plus rarement, sous seing privé ou par voie d’adjudication en justice. En 1722, la casualité est rétablie pour tous les offices, et ce, jusqu’en 1743, année où les notaires obtiennent le retour au régime héréditaire antérieur.
 
Dans son étude du notariat français, M. Moreau a souligné combien les notaires étaient pléthoriques dans la France d’Ancien Régime Alain Moreau, Les métamorphoses du scribe. Histoire du notariat….  À la veille de la Révolution,  le ratio s’établit en moyenne à un notaire pour 1 000 à 1 500 habitants dans les grandes villes. L’encadrement notarial, traditionnellement plus fort dans les petites villes que dans les grandes.

Sous Louis XIII et plus encore lors de la régence d’Anne d’Autriche, le nombre de notaires avait été multiplié déraisonnablement pour augmenter les ressources du Trésor royal.

Au début du gouvernement personnel de Louis XIV s’ajoutent les effets pervers de la politique d’un Colbert soucieux de relever les finances de l’État. Sous prétexte d’assainir la situation créée par ses prédécesseurs, le contrôleur général des finances met les officiers royaux sous pression par les édits de 1663 et 1664 Ludovic Langlois, La communauté des notaires de Tours...,…. L’édit de réduction d’avril 1664 impose l’extinction de tous les offices vacants et le rachat des offices appelés à vaquer par mort, de sorte qu’il ne demeure plus qu’un notaire royal par paroisse de 60 feux. Pour la ville de Montluçon (plus de 1 000 feux), quatre offices seulement furent réservés, alors qu’elle en comptait près du triple depuis trente-cinq ans. Conformément à l’esprit de l’édit, ce furent les notaires les plus jeunes qui bénéficièrent de la réserve.

La suppression de la moitié des offices, en 1664-1670, provoqua des initiatives isolées et non le sursaut collectif qui aurait pu aboutir à la création d’une communauté. Toutefois, la tourmente avait cessé : conscient de l’émoi que l’édit de 1664 et ses avatars avaient occasionné [20][20]Comme en d’autres provinces, les consuls et habitants,…, le Conseil du roi radoucit sa position moyennant finance.

Comme les huissiers, les greffiers et les procureurs, les notaires appartiennent à la classe des praticiens de l'Ancien Régime, qui ne suivent généralement aucune étude de droit. Leur formation repose donc sur la pratique juridique empirique.

Par l'acte illustrant cet article Catherine de Médicis accorde à Antoine Gély de reprendre l’office de notaire à Saint-Martin-Valmeroux, détenu auparavant par feu Jacques Delapierre.Il est à noter que la suscription de l’acte (les premières lignes présentant la personne qui agit) qualifie Catherine de Médicis de « royne de France » ainsi que de « duchesse d’Auvergne ». La reine mère agit en réalité non en tant que reine de France mais comme régente, son fils Charles IX n’étant déclaré majeur que quelques mois plus tard, en août 1563. Quant à la deuxième titulature, elle est volontairement inexacte. Il a bel et bien existé, à différentes périodes du Moyen-Age et de l’époque moderne, un duché d’Auvergne qui englobait Aurillac, Clermont et La Chaise-Dieu, mais ce duché avait rejoint les possessions de la couronne suite à la mort de Louise de Savoie, mère de François Ier, en 1531, et le titre n’était plus porté en 1563. En revanche, Catherine de Médicis est héritière du côté de sa mère du comté d’Auvergne, qui comprend la seigneurie de La Tour d’Auvergne à cheval entre le Cantal et le Puy-de-Dôme actuels, ainsi que Saint-Saturnin et Vic-le-Comte. Mais il va de soi que, lorsqu’on est reine, il est préférable de se dire duchesse plutôt que comtesse, d’autant plus que personne n’osera vous contredire…

Le contenu même de l’acte est peu original. Il reprend les formules et clauses habituelles des lettres de provision d’office : « avons donné et octroyé, donnons et octroyons par ces présentes l’office de notaire royal au lieu de St Martin de Valmarous au Hault-Auvergne […] et ledit office avoir, tenir et doresnavant exercer par ledit Gély ». Il reviendra à Antoine Gély de présenter ces lettres de provision au bailli des Montagnes d’Auvergne, représentant du roi installé à Saint-Martin-Valmeroux, afin de prendre définitivement possession de sa charge. L’acte est daté du « VIe jour de avril l’an de grace mil cinq cens soixante deux avant Pasques. » Cette précision finale nous rappelle que la chancellerie royale établissait le début de l’année civile à Pâques, et ce jusqu’en 1564. Il faut donc calculer que la période comprise entre le 1er janvier et Pâques 1562 correspond pour nous au début de l’année 1563.
On ne sera pas étonné que ce document ne soit pas décoré : les lettres de provisions d’office ne sont jamais luxueuses. Il faut toutefois remarquer que les deux-tiers du parchemin, cachés par le repli, sont vierges, alors que la matière est coûteuse. L’incision à droite de la signature est le seul vestige de la présence d’un sceau pendant fixé sur une bande de parchemin, appelée « double queue » puisqu’elle dépassait des deux côtés du repli. Quant à la signature elle-même, il s’agit bien sûr de celle d’un secrétaire, la reine de France et duchesse d’Auvergne ne signant pas chaque acte passé en son nom. 
 
A lire également bien sûr l'article de l'oncle Baudot sur les archives notariales en France !
 
https://www.persee.fr/doc/gazar_0016-5522_1963_num_40_1_1717
 
 Et aussi :
  • "Le notaire certifiant que les testatrices ont voulu faire une disposition en sa faveur, il n'y a de prouvé que sa faute ; et sa responsabilité en est la conséquence. Si les testatrices devaient savoir qu'elles étaient ses créancières, devait-il ignorer qu'il était leur débiteur ?" — (François-Antoine Vazeille, Résumé et conférence des commentaires du Code civil, sur les successions, donations et testamens, tome 2, Clermont-Ferrand : chez Thibaud-Landriot & Riom : chez Thibaud fils, 1837, p. 542)

                                                    (LEROUX DE LINCY Prov. t. II, p. 142).