Promouvoir l'innovation high et low-tech |
Quel modèle de
développement durable pour la France ? Le 19 août 2013, le président de
la République a lancé son " projet 2025 ", qui entend rompre avec le
déclinisme et fixer un cap stratégique pour la France. En partenariat
avec le Commissariat général à la stratégie et à la prospective, chargé
de déterminer les grandes orientations de ce projet, " Le Monde " publie
une série de contributions sur les enjeux sociaux, économiques,
environnementaux et culturels auxquels le pays est confronté |
A une société française
en proie à des divergences d'intérêts et d'appréciation quant à son
devenir, il n'est plus possible d'offrir une trajectoire unique,
soutenue par des politiques publiques convergentes. Aucune norme commune
ne saurait à la fois satisfaire la part de la société qui se bat sur le
front de la compétitivité internationale la plus rude, celle qui aspire
à une forme de vie sociale plus apaisée et dont les activités
économiques sont moins exposées, et la minorité qui considère les
fondamentaux écologiques et qui ne demande qu'à expérimenter des formes
de résilience collective. Chacune de ces trajectoires sociales répond à une réalité spécifique. En outre, rien n'interdirait de passer durant son existence de l'une à l'autre. Et c'est la situation de transition et de mutation où nous sommes qui fonde pour un temps l'opportunité de leur coexistence. Une coexistence d'autant moins absurde que ces trois trajectoires n'interdisent pas de se conformer à quelques contraintes communes en termes de carbone, de tolérance pour chacune face à l'existence des deux autres, de formations initiales, de régime des retraites, d'orientation générale vers une société low carbon, etc. On pourrait imaginer un statut permettant à des entreprises ou à des salariés de bénéficier d'un ensemble de dérogations ménageant une flexibilité en termes de contrat de travail et donc de licenciement éventuel, un système d'assurances sociales privé et réglementé à l'instar du système suisse, afin de réduire pour l'employeur la part des charges sociales, etc. Les salariés pourraient bénéficier d'un régime fiscal forfaitaire par tranches successives relativement larges, l'impôt étant identique au sein de chaque tranche. L'idée est ici de maximiser la flexibilité de l'emploi et en contrepartie d'augmenter le revenu moyen des employés. Il ne s'agit pas d'ouvrir un espace sauvage, hors justice sociale et hors biosphère. Des avantages fiscaux pourraient inciter les entreprises à resserrer l'échelle des revenus. L'ensemble dudit secteur pourrait par ailleurs être soumis à un régime fiscal spécifique, assis sur la consommation comparée de ressources (énergie et matières) et non plus sur le travail ; lequel encouragerait la réorientation des activités économiques exportatrices vers une économie plus circulaire. Ce secteur pourrait directement financer l'enseignement et la recherche, par exemple. Le secteur central appelle moins de commentaires. Sa finalité est d'assurer les plus grandes protection et stabilité possibles, mais pas au point de figer le système. On pourrait imaginer que la contrepartie à l'action protectrice de l'Etat soit l'incitation à l'appropriation coopérative et mutualiste des entreprises, pour y associer au maximum les salariés et attacher les entreprises aux territoires. Le dernier secteur est en quelque sorte à l'inverse du premier. L'objectif n'est plus de maximiser nos capacités d'adaptation à la compétitivité mondiale, mais à un monde physique et biologique qui nous deviendra irrémédiablement plus hostile, sous la pression notamment du dérèglement climatique, et qui sera caractérisé par la raréfaction de l'énergie et des ressources. L'idée est là aussi de ménager des poches franches, mais en vue de permettre à de petits collectifs d'expérimenter des modes de vie nouveaux, et donc de développer des capacités collectives. Un mode de vie, à la différence d'un style de vie, n'est en effet jamais purement individuel. On ne produit seul ni sa nourriture, ni son logement, ni son vêtement, etc. Il s'agirait de permettre à de petit collectifs de vivre en marge de la norme générale, de s'organiser autour de laboratoires de fabrication (fab labs), de méthodes de culture qui préserveraient la diversité, la stabilité et la résilience des écosystèmes (permaculture), d'éprouver des techniques low tech, plus robustes et localement enracinées, de parvenir à des performances thermiques de l'habitat, de favoriser dans cet esprit les monnaies locales ; d'auto-organiser des écoquartiers avec des chartes relativement exigeantes, impliquant différentes formes de mutualisation, et dont les habitats seraient financés de façon coopérative, avec une aide et une garantie d'organismes publics et de banques ; etc. Le système politique actuel cherche à imposer à l'ensemble d'une société, hétérogène, des ordres uniformes, voire contradictoires. Nous proposons la mise en œuvre de politiques différenciées, à caractère expérimental. Il n'y aurait là aucune menace contre l'unité nationale, mais un gage de créativité et d'adaptation. La promotion d'une double forme d'innovation, capitalistique, concurrentielle, high-tech d'un côté, sociale, solidaire, low tech et à petite échelle de l'autre, irriguerait tout le corps social et nourrirait les activités et le dynamisme de l'ensemble de la société. Dominique Bourg Philosophe, professeur à l'université de Lausanne, vice-président de la Fondation Nicolas Hulot |
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lundi 6 janvier 2014
LM DU 07 01 2014
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