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dimanche 9 octobre 2011

LE PROUFIT DE L'UN EST DOMMAGE DE L'AULTRE.


Les Essais de Montaigne
LIVRE I, CHAPITRE XXII.
 
LE PROUFIT DE L'UN EST DOMMAGE DE L'AULTRE.



Demades, Athénien, condemna un homme de sa
ville qui faisoit mestier de vendre les choses nécessaires aux enterrements, soubs tiltre de ce qu'il en demandoit trop de proufit, et que ce proufit ne luy pouvoit venir sans la mort de beaucoup de gents. 
Ce iugement semble estre mal prins; d'autant qu'il ne se faict aucun proufit qu'au dommage d'aultruy, et qu'à ce compte il fauldroit condemner toute sorte de gaings. 
Le marchand ne faict bien ses affaires qu'à la desbauche de la ieunesse; 
le laboureur, à la cherté des bleds; 
l'architecte, à la ruine des maisons;
les officiers de la iustice, aux procez et querelles des hommes; 
l'honneur mesme et practique des ministres de la religion se tire de nostre mort et de nos vices;
nul médecin ne prend plaisir à la santé de ses amis mesmes, dit l'ancien comique grec ;
ny soldat, à la paix de sa ville : ainsi du reste.
Et qui pis est, que chascun se sonde au dedans, il trouvera que nos souhaits intérieurs, pour la pluspart, naissent et se nourrissent aux despens d'aultruy.
Ce que considérant, il m'est venu en fantasie comme nature ne se desment point en cela de sa générale police ; car les physiciens tiennent que la naissance, nourrissement et augmentation de chasque chose, est l'altération et corruption d'une aultre.

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