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mardi 7 mai 2013

LM 07 05 2013

Comment revivifier la démocratie ?
Alors que la dépolitisation et les affaires à répétition polluent la vie publique, Jacques Rancière et Pierre Rosanvallon débattent de la crise politique
Malaise démocratique, débandade politique et vent de panique dans la République. Un an après l'élection de François Hollande, le bilan n'est pas brillant. Et il n'est pas lié, loin de là, qu'aux divers couacs, atermoiements et faux pas de l'impétrant. Les affaires se multiplient, révélant, derrière les dénégations pathétiques des individualités prises la main dans le sac, l'ampleur des connivences entre pouvoir et trafic, responsabilités et conflits d'intérêts. Un discrédit sans précédent frappe les personnalités politiques. Au point que certains en appellent à une VIe République. Au point qu'un autoproclamé " printemps français " entend dépasser le clivage gauche-droite afin d'opposer le " parti de la vie " (sexuellement normée) au " parti de la mort " (des valeurs de la civilisation occidentale).
D'où l'envie de réunir Jacques Rancière et Pierre Rosanvallon, deux penseurs incontournables de la question démocratique afin de comprendre notre crise morale et politique .
En apparence, tout semble les séparer. Philosophe, Jacques Rancière s'est éveillé à la philosophie et à la politique auprès de Louis Althusser, le maître à penser de toute une génération d'intellectuels engagés. Même s'il s'est rapidement détaché du marxisme-léninisme scientiste du célèbre " caïman " de l'Ecole normale supérieure pour forger une pensée singulière de l'émancipation grâce à sa plongée dans les " archives du rêve ouvrier " des années 1830-1840, Jacques Rancière est un auteur prisé dans la galaxie des nouvelles radicalités, un professeur recherché, un philosophe atypique de la pensée critique. Un des rares chercheurs aussi, à articuler esthétique et politique.
Historien, Pierre Rosanvallon fut l'intellectuel organique de la CFDT, l'un des théoriciens les plus écoutés de la " deuxième gauche ", ce courant décentralisateur et réformiste notamment porté par Michel Rocard. Le nom du premier reste attaché à l'histoire de la subversion démocratique révolutionnaire ; celui du second fut longtemps associé à la gauche du " cercle de la raison " théorisé par l'essayiste Alain Minc. Une gauche qui s'est articulée au sein de la Fondation Saint-Simon, ce club social-libéral créé en 1982 par l'historien François Furet et dont Pierre Rosanvallon fut le secrétaire général, ce salon où se côtoyaient gauche antitotalitaire et nouveau patronat, où se tenait " la rencontre de gens qui avaient des moyens avec des gens qui avaient des idées ", comme le dit l'historien Pierre Nora.
Jacques Rancière est professeur émérite à Paris-VIII, survivance de l'université de Vincennes, lors de laquelle la French theory emmenée par Foucault, Deleuze et cie bousculait le rapport au savoir, non sans débordements théorico-politiques. Pierre Rosanvallon préside aux destinées de " La république des idées " et de " La vie des idées ", lieux de production et d'échange intellectuel de référence et d'influence. Le premier fut du côté des grévistes de décembre 1995 ; le second choisit de signer la pétition de soutien au plan Juppé sur les retraites lancée par la revue Esprit et soutenue par la CFDT de Nicole Notat.
Révolution contre social-démocratie, radicalité versus réformisme : tout donc, semble les séparer. Tous deux comptent parmi les plus importants penseurs de l'égalité et de la démocratie aujourd'hui.
Depuis la création de " La République des idées " en 2002, Pierre Rosanvallon s'est radicalisé et ne cesse de s'en prendre à " la France des rentiers " dominée par le séparatisme social qui accroît les inégalités. Dans son dernier ouvrage, La Société des égaux (Seuil, 2011), il démontre que la valeur cardinale de la gauche demeure l'égalité et promeut une " nouvelle critique sociale " destinée à donner les bases théoriques à ce combat. Jacques Rancière n'a rien perdu de sa radicalité. Depuis La Nuit des prolétaires (1981), il n'a cessé de démonter que, de Platon à Hugo, de Sartre à Bourdieu, la figure de " l'intellectuel " qui éclaire le " peuple " est un abus de pouvoir, d'autant que " les gens n'ont pas besoin qu'on leur dise pourquoi ils sont opprimés, ils le savent parfaitement ". Dans La Haine de la démocratie (La Fabrique, 2005), il a mené une critique en règle de l'antidémocratisme ambiant qui assimile démocratie et individualisme consumériste.
Derrière les différences et les divergences, les deux hommes opèrent quelques rapprochements. Un dialogue inédit entre deux " hérétiques consacrés ", dixit Pierre Rosanvallon : l'un est un démocrate résolu chez les anticapitalistes radicaux ; l'autre, un syndicaliste au Collège de France. Un débat pour sortir de la crise politique et faire vivre l'esprit critique
Nicolas Truong

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