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jeudi 11 octobre 2012

LM du 12 octobre 2012

Sur la ligne qui sépare les deux Corées, " la guerre n'est toujours pas terminée "
Les violations des accords d'armistice de 1953 sont jugées permanentes, mais les incidents les plus graves entre les deux pays sont survenus en dehors de la zone démilitarisée qui divise la péninsule
Il était midi, samedi 6 octobre, quand un soldat nord-coréen de 18 ans a tué deux gradés avant de prendre ses jambes à son cou pour rejoindre la Corée du Sud, depuis son poste de garde situé à 100 mètres de la ligne de démarcation, dans la zone démilitarisée (DMZ) qui sépare les deux pays. Depuis l'armistice de 1953, cette bande de terre surveillée par l'ONU coupe la péninsule dans toute sa largeur.
L'événement est rare - on ne recense que six défections ces dix dernières années. Le jeune transfuge a pris le " corridor ouest ", la seule route qui relie encore le Nord au Sud, depuis la zone franche industrielle de Keasong jusqu'à Séoul ; la route de la brève ouverture économique décidée par les deux pays à l'aube des années 2000.
Les visiteurs du poste d'observation de Dora, en bordure sud-ouest de la DMZ, auraient pu ce samedi-là apercevoir le soldat courant vers la liberté. De ce surplomb, depuis la veille, un ciel radieux permettait de distinguer la voie menant aux usines de Kaesong, dans lesquelles 53 000 ouvriers de la République populaire démocratique de Corée fabriquent des produits de consommation pour le Sud, au pied de montagnes que le renseignement militaire dit truffées de canons longue portée. Chaque jour, 900 travailleurs passent la ligne dans les deux sens.
Mais en venant de Séoul, passée la ligne des barbelés, le monde paraît s'être arrêté de tourner. Dans la DMZ, une charmante petite route serpente au milieu des rizières du seul village de la zone, Taesong-tong, 200 habitants. La " Joint Security Area " dans laquelle stationne l'ONU est nichée au coeur d'une campagne emplie du chant des grillons.
Depuis quinze ans, l'armée nord-coréenne n'envoie plus d'agents traverser la ligne. Les équipements de vision nocturne du Sud ont fait perdre toute pertinence à ce genre d'opérations. Les herbes folles grignotent le pont du Non-Retour, par lequel 80 000 soldats avaient, à l'armistice, été renvoyés en République populaire. Inviolée depuis 1953, la DMZ est devenue un sanctuaire de la biodiversité. C'est, aussi, un haut lieu du tourisme patriotique. Côté Sud, cinq agences accréditées filtrent des visiteurs (entre 125 000 et 200 000 par an) dont les services ont fouillé le passé.
A Panmunjom, le lieu des discussions entre les deux Corées, il ne se tient plus de réunions depuis 1998. Seul survit le rituel de la guerre froide. Un rapport quotidien est délivré aux forces du Nord sur la moindre des activités en partie Sud : " Au téléphone ou au porte-voix, quand personne ne répond ", explique le capitaine Edwin Juleus, officier américain membre de la commission d'armistice. En cette calme journée d'octobre, un unique soldat du Nord est planté sur les marches du Panmungak, le bâtiment de la République populaire, et les cinq militaires sud-coréens, que leur raideur fait ressembler à des jouets, ne sont sortis que pour les invités privilégiés du jour.
Cette immobilité n'est qu'un leurre. De part et d'autre de cette bande de terre silencieuse, deux armadas veillent. Au Sud, la 1re et la 3e armée coréennes. Plus de 80 % des forces terrestres du pays (640 000 hommes, 2 400 chars) stationnent entre le 38e parallèle et la capitale Séoul, à 50 km. En face (1,2 million d'hommes, 4 200 chars), même concentration jusqu'à la capitale Pyongyang. Les batteries antiaériennes, susceptibles d'atteindre la banlieue de Séoul, jalonnent la frontière aussi sûrement que le millier de marqueurs rouillés de la ligne de démarcation. Avant la " guerre thermonucléaire ", dont Pyongyang a menacé il y a quelques jours encore la péninsule, les armes conventionnelles vieillissantes de Kim Jong-un, peuvent, demain, mener une guerre localisée meurtrière.
La surprise fut grande quand, en mai, ce dernier est apparu, manteau et lunettes noires, au balcon du bâtiment de Panmunjom, ce que son père n'avait jamais fait. " Le climat est très tendu, les violations de l'accord d'armistice sont quotidiennes, note le contre-amiral suédois Anders Grenstad, à la tête de la Commission des nations neutres, chargée de vérifier l'impartialité de l'enquête sur le transfuge du 6 octobre. Cela procède d'un jeu de la tension, mais personne ne souhaite l'escalade ", ajoute-t-il.
" La guerre n'est pas terminée ici. Nous devons maintenir l'attention sur cette ligne ", souligne le général Yoon Wan-san, patron de la 3e division d'infanterie sud-coréenne. Cette division dont la combativité avait impressionné Douglas Mac Arthur, déploie 10 000 hommes au nord-est de Séoul. Depuis la fin de la guerre, elle a tué 139 soldats du Nord. Le général refuse de donner l'état de ses pertes. En 1992, ses hommes ont abattu trois Nord-Coréens. Pyongyang n'a jamais réclamé les corps. En 1997, des échanges de tirs ont duré quarante minutes après une incursion. Les dernières " provocations " en date.
C'est en mer, autour des îles contestées de la mer Jaune, qu'ont eu lieu récemment les accrochages graves entre les deux armées, dont le torpillage du Cheonan, qui a tué 46 marins sud-coréens en 2010. Mais " dire que la tension est plus ou moins élevée en ce moment n'a pas grand sens, souligne le général Yoon. Depuis la fin de la guerre de Corée, les forces du Nord n'ont pas cessé leurs provocations. Elles agissent toujours par surprise. Nous devons simplement nous tenir prêts. " Les plans de guerre américains et coréens le sont. La coalition onusienne, dont fait partie la France, n'aurait pas besoin d'un nouveau mandat du Conseil de sécurité pour augmenter ses forces. Deux grands exercices interarmes sont conduits sous l'égide de l'ONU chaque année.
Dans le hall du quartier général de la 3e division d'infanterie, à Ch'orwon, il est interdit de photographier les portraits de l'état-major. Ils dominent ceux du dirigeant nord-coréen, ici dans les flammes d'un bûcher, là ceint de rubans noirs mortuaires.
Nathalie Guibert

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