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mercredi 7 octobre 2015

LM 07 10 2015


Dominique Stoppa-Lyonnet, professeur de génétique à l’université Paris-Descartes, chef du service de génétique de l’Institut Curie explique en quoi la notion de race,  concernant l’espèce humaine, est dénuée de sens.

 « Race » : l’ignorance conduit à la détestation. 

Nous sommes quand même avant tout un peuple européen de race blanche» : en revendiquant l’appartenance des Européens à une race et en sous-entendant la détestation de ceux qui seraient censés appartenir à une autre, Nadine Morano [députée européenne, Les Républicains] a , comme beaucoup, fait preuve d’ignorance de l’histoire de notre humanité.
La paléoanthropologie, l’hématologie géographique et, plus récemment, l’analyse génomique comparée des populations humaines ont maintenant établi qu’Homo sapiens constitue notre humanité et qu’il a progressivement migré depuis l’Afrique de l’Est où il est né il y a 200 000 ans. Il est plus que probable qu’il ait reçu quelques contributions génétiques d’Homo neanderthalensis, entre 50 000 et 100 000 ans au Proche-Orient, avant qu’il ne se répande à travers l’Europe, l’Asie, puis l’Océanie et l’Amérique. Au cours de notre longue préhistoire puis histoire, des groupes humains, ou populations, se sont ensuite constitués sur notre planète au hasard des migrations guidées par la géographie des lieux, les événements climatiques et plus tard les grands événements politiques et religieux.
Le séquençage du génome (6 milliards de paires de bases réparties sur nos 23 paires de chromosomes) de nombreux individus appartenant à différentes populations a permis de montrer définitivement que les 7 milliards d’humains que nous sommes aujourd’hui partagent essentiellement le même patrimoine génétique. Il existe pourtant de légères variations entre individus, variations dont seulement un petit nombre contribuent à nos différences.
Ainsi, deux personnes, prises au hasard dans la population humaine, diffèrent entre elles en moyenne par 3,2 millions de paires de bases, soit par seulement 0,05 % de leur génome : si peu et pourtant beaucoup ! Il existe tout autant de ces différences à l’intérieur d’une même population qu’entre deux populations différentes de taille comparable.
Néanmoins, certains variants sont plus fréquents dans certaines populations, s’étant accumulés parce qu’ils les protègent d’une maladie infectieuse ou parce qu’ils leur ont permis de résister à un environnement délétère (froid, sécheresse, disette…). Agents infectieux, régimes alimentaires ou climats hostiles ont constitué, et constituent toujours, des facteurs de pression de sélection qui sont favorables aux individus porteurs de ces variants protecteurs, ou plutôt, défavorables à ceux qui ne les portent pas.
A titre d’exemple, citons la fréquence élevée du variant HbS du gène de l’hémoglobine bêta, responsable de drépanocytose [maladie génétique de l’hémoglobine] lorsque le variant est sur les deux copies du gène, mais qui protège les porteurs d’une seule copie du paludisme dans les zones d’endémie. Ou encore la fréquence élevée en Europe du Nord des variants du gène CFTR associés à la mucoviscidose lorsqu’un variant est sur les deux copies du gène : ils ont eu un probable effet protecteur chez les simples porteurs contre certaines diarrhées et ont pu être sélectionnés par les grandes épidémies de choléra.
Mais un autre exemple est bien plus sensible, car il constitue l’élément majeur sur lequel se fonde la notion biologiquement inepte de race humaine : la couleur de la peau. La faible pigmentation de la peau des populations du nord de l’Afrique, d’Europe et d’Asie résulte d’un trait génétique complexe et est en partie liée à la présence de variants du gène SIC24A5, l’un des gènes régulant la synthèse de mélanine (pigment foncé des téguments). L’absence d’avantage sélectif d’une peau noire dans les pays de latitude élevée, moins exposés au soleil, et, à l’inverse, l’avantage d’une peau claire facilitant la synthèse de vitamine D et prévenant le rachitisme ont conduit à la tendance écrasante de la présence de populations à peau blanche en Europe et en Asie. En revanche, une peau noire est commune à toutes sortes de groupes de populations vivant dans des zones tropicales ensoleillées, où qu’elles soient dans le monde, des populations aussi différentes que celles d’Afrique, d’Inde ou d’Océanie.
Penser que, parce que certains traits physiques sont quasi constants dans une population – en particulier la couleur de la peau –, les génomes des individus qui la composent sont identiques, et que cette identité les réunit en un groupe fermé, génétiquement distinct, est une extrapolation fallacieuse. C’est pourtant sur ce raisonnement erroné que repose le concept de race développé au XIXe siècle.
Ce concept catégorise, classifie, mais surtout, au fond, hiérarchise les populations. Cette conceptualisation a trouvé son apogée avec la publication par Arthur de Gobineau de l’Essai sur l’inégalité des races humaines (1853) et avec le mouvement eugéniste développé par Francis Galton en Angleterre. La hiérarchisation de la population humaine en différentes races a justifié les comportements discriminatoires et haineux du XXe siècle. Les races humaines n’existent pas, ou plutôt, elles n’existent que selon des définitions culturelles et non biologiques, dans nos lois d’homme et non dans celles de la nature, dans l’invective et non dans la raison. L’ensemble de notre humanité n’appartient qu’à une seule et même espèce : Homo sapiens.
Et pourtant, on dit que, parmi les animaux domestiques, il existe bien des races. Ces animaux sont issus de croisements de spécimens, souvent éloignés, d’une même espèce et de sélections volontaires sur les caractères morphologiques ou sur les performances de leurs descendants. Le pur-sang est le résultat d’un élevage sélectif commencé en Angleterre au XVIIe siècle à partir de chevaux issus d’un croisement de juments locales et d’étalons arabes. La domestication a ainsi fini par conduire à la constitution de populations dont les génomes sont quasi identiques à l’intérieur d’une même espèce animale.
Il s’agit là de sélections faites par l’homme lui-même, de sélections assidues et industrielles, tout l’inverse des mécanismes « ouverts » (migrations, échanges, flux et dérives, facteurs de sélection évoqués plus haut), qui ont constitué les groupes humains depuis les plus anciennes de nos populations.
La connaissance de l’origine de notre humanité et la compréhension de ce qui fait nos différences, qu’il serait puéril de nier, mais surtout nos ressemblances, sont la seule façon de dénuer de sens le  mot race chez l’homme.
« Les races humaines n’existent pas, ou plutôt, elles n’existent que selon des définitions culturelles et non biologiques, dans nos lois d’homme et non dans celles de la nature, dans l’invective et non dans la raison »

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