LE NOM DE LIEU CÉNARET, Cne DE BARJAC (LOZÈRE)
Nouvelle Revue d'Onomastique n° 25-26-1995
Comme le constate le Guide de l'art et de la nature 48 *, «sur le piton qui domine Baijac s'élevait naguère le château de Cénaret qui fut démoli en 1597». D'autre part, le même Guide signale au Mas Saint-Chély la «chapelle Notre-Dame de la Cénarète, sous un rocher». La relation qui existait entre Cénaret de Baijac et La Cénarète de Saint-Chély est expliquée par Charles Porée qui a écrit les études les plus solides sur la Lozère : le seigneur de Cénaret avait fondé à Saint-Chély qu'il possédait une église à laquelle son nom resta attaché(2). La plus ancienne mention connue est P. de Senaret en 1 150 (ACLP 70, 24).
Reste donc le lieu d'origine qui est situé au-dessus de Baijac, à 5 .km au SE de Mende et qui est l'homophone de Señareis, cne de Vicq, dans le département de l'Allier.
Ainsi que le prouve un sceau de 1312 conservé aux Archives Départementales de l'Aveyron(3), la famille Cénaret, qu'elle écrivait aussi Sénaret , interprétait son nom en senh et en aret, mots qui en ancien provençal signifient respectivement "sonaille" et "bélier", de telle sorte qu'elle avait choisi comme armes parlantes un bélier muni d'une grande sonaille : ainsi peut-on l'admirer sur le sceau de Bernard de Cénaret, dom d'Aubrac.
En réalité les armes parlantes des Cénaret ne sont qu'un essai d'explication en langue d'oc d'un fait plus ancien postulé par le nom même. Que veut dire en effet le nom de lieu Cénaret ?
II est d'abord comparable par son suffixe latin {-et < -eturri) à Nouzet (nucetum) "le lieu où poussent les noix" ou à Ourtiguet (urtica + -etum) "le lieu où poussent les orties". Quant à son radical, il ne peut être que *cmar ou с тага. Or, comment ne pas reconnaître cynara scolimus ou, en bon latin, с тага "l'artichaut" ? De telle sorte que Cénaret remonte à cmaretum c'est-à-dire "l'endroit favorable aux artichauts". Mais l'artichaut, disent les dictionnaires, est bien postérieur à l'époque gallo-romaine et son nom actuel n'apparaît qu'au XVIe siècle où il a été emprunté à un nom lombard. Oui, mais nos ancêtres -et bon nombre de nos contemporains -consommaient, faute d'artichaut cultivé dans les jardins, un artichaut sauvage que l'on appelle de nos jours dans l'Aveyron et dans la Lozère une cardabelle. Comme l'écrit l'abbé Vayssier dans son très justement célèbre Dictionnaire Patois-Français du Département de l'Aveyron4, "Cordobèlo, carline à feuille d'acanthe, carlina acan-thifolia, d'Allioni, vulg. chardousse, artichaut sauvage, espèce de chardon sans tige, à grande fleur, commune sur les plateaux calcaires incultes, et dont on mange la pulpe du réceptacle comme celle de l'artichaut. Cette plante est encore remarquable par ses propriétés hygrométriques. Elle s'étale ou ferme les divisions de l'involucre selon que le temps veut se mettre au beau ou à la pluie". De son côté l'abbé de Sauvages (Dictionnaire Languedocien-François, Nîmes, 1756, p. 94) avait déjà noté : "Cardoulio, la grande carline blanche, le caméléon-blanc, plante épineuse des pais froids. La tête ou sa fleur, qui est de la grosseur du grand soleil et qui lui ressemble, est appliquée contre terre et n'a point de tige, elle sert d'aréomètre aux Païsans, ils l'attachent à un clou dans quelque endroit exposé à l'air : il en annonce les variations en se fermant ou en se rouvrant. La racine de la carline est aromatique, le cul de la fleur est bon à manger comme celui des artichauts de Laon, on en fait de très bonnes confitures. Le nom de carline lui vient, dit-on, de Charlemagne, à qui un Ange (suivant l'Histoire ou les Fables de ces tems reculés) montra cette plante comme un bon remède contre une maladie épidémique qui ravageait son armée".