Dominique Stoppa-Lyonnet, professeur
de génétique à l’université Paris-Descartes, chef du service de génétique de
l’Institut Curie explique en quoi la notion de race, concernant l’espèce humaine, est dénuée de
sens.
« Race » : l’ignorance conduit à la
détestation.
Nous sommes quand même avant
tout un peuple européen de race blanche» : en revendiquant l’appartenance des
Européens à une race et en sous-entendant la détestation de ceux qui seraient
censés appartenir à une autre, Nadine Morano [députée européenne, Les
Républicains] a , comme beaucoup, fait preuve d’ignorance de l’histoire de
notre humanité.
La paléoanthropologie,
l’hématologie géographique et, plus récemment, l’analyse génomique comparée des
populations humaines ont maintenant établi qu’Homo sapiens constitue
notre humanité et qu’il a progressivement migré depuis l’Afrique de l’Est où il
est né il y a 200 000 ans. Il est plus que probable qu’il ait reçu quelques
contributions génétiques d’Homo neanderthalensis, entre 50 000 et 100
000 ans au Proche-Orient, avant qu’il ne se répande à travers l’Europe, l’Asie,
puis l’Océanie et l’Amérique. Au cours de notre longue préhistoire puis
histoire, des groupes humains, ou populations, se sont ensuite constitués sur
notre planète au hasard des migrations guidées par la géographie des lieux, les
événements climatiques et plus tard les grands événements politiques et
religieux.
Le séquençage du génome (6
milliards de paires de bases réparties sur nos 23 paires de chromosomes) de
nombreux individus appartenant à différentes populations a permis de montrer
définitivement que les 7 milliards d’humains que nous sommes aujourd’hui
partagent essentiellement le même patrimoine génétique. Il existe pourtant de
légères variations entre individus, variations dont seulement un petit nombre
contribuent à nos différences.
Ainsi, deux personnes, prises au
hasard dans la population humaine, diffèrent entre elles en moyenne par 3,2
millions de paires de bases, soit par seulement 0,05 % de leur génome : si peu
et pourtant beaucoup ! Il existe tout autant de ces différences à l’intérieur
d’une même population qu’entre deux populations différentes de taille
comparable.
Néanmoins, certains variants sont
plus fréquents dans certaines populations, s’étant accumulés parce qu’ils les
protègent d’une maladie infectieuse ou parce qu’ils leur ont permis de résister
à un environnement délétère (froid, sécheresse, disette…). Agents infectieux,
régimes alimentaires ou climats hostiles ont constitué, et constituent
toujours, des facteurs de pression de sélection qui sont favorables aux
individus porteurs de ces variants protecteurs, ou plutôt, défavorables à ceux
qui ne les portent pas.
A titre d’exemple, citons la
fréquence élevée du variant HbS du gène de l’hémoglobine bêta, responsable de
drépanocytose [maladie génétique de l’hémoglobine] lorsque le variant
est sur les deux copies du gène, mais qui protège les porteurs d’une seule
copie du paludisme dans les zones d’endémie. Ou encore la fréquence élevée en
Europe du Nord des variants du gène CFTR associés à la mucoviscidose lorsqu’un variant
est sur les deux copies du gène : ils ont eu un probable effet protecteur chez
les simples porteurs contre certaines diarrhées et ont pu être sélectionnés par
les grandes épidémies de choléra.
Mais un autre exemple est bien
plus sensible, car il constitue l’élément majeur sur lequel se fonde la notion
biologiquement inepte de race humaine : la couleur de la peau. La faible
pigmentation de la peau des populations du nord de l’Afrique, d’Europe et
d’Asie résulte d’un trait génétique complexe et est en partie liée à la
présence de variants du gène SIC24A5, l’un des gènes régulant la synthèse de
mélanine (pigment foncé des téguments). L’absence d’avantage sélectif d’une peau
noire dans les pays de latitude élevée, moins exposés au soleil, et, à
l’inverse, l’avantage d’une peau claire facilitant la synthèse de vitamine D et
prévenant le rachitisme ont conduit à la tendance écrasante de la présence de
populations à peau blanche en Europe et en Asie. En revanche, une peau noire
est commune à toutes sortes de groupes de populations vivant dans des zones
tropicales ensoleillées, où qu’elles soient dans le monde, des populations aussi
différentes que celles d’Afrique, d’Inde ou d’Océanie.
Penser que, parce que certains
traits physiques sont quasi constants dans une population – en particulier la
couleur de la peau –, les génomes des individus qui la composent sont
identiques, et que cette identité les réunit en un groupe fermé, génétiquement distinct,
est une extrapolation fallacieuse. C’est pourtant sur ce raisonnement erroné
que repose le concept de race développé au XIXe siècle.
Ce concept catégorise, classifie,
mais surtout, au fond, hiérarchise les populations. Cette conceptualisation a trouvé
son apogée avec la publication par Arthur de Gobineau de l’Essai sur
l’inégalité des races humaines (1853) et avec le mouvement eugéniste développé
par Francis Galton en Angleterre. La hiérarchisation de la population humaine
en différentes races a justifié les comportements discriminatoires et haineux
du XXe siècle. Les races humaines n’existent pas, ou plutôt, elles n’existent
que selon des définitions culturelles et non biologiques, dans nos lois d’homme
et non dans celles de la nature, dans l’invective et non dans la raison.
L’ensemble de notre humanité n’appartient qu’à une seule et même espèce : Homo
sapiens.
Et pourtant, on dit que, parmi
les animaux domestiques, il existe bien des races. Ces animaux sont issus de
croisements de spécimens, souvent éloignés, d’une même espèce et de sélections
volontaires sur les caractères morphologiques ou sur les performances de leurs
descendants. Le pur-sang est le résultat d’un élevage sélectif commencé en
Angleterre au XVIIe siècle à partir de chevaux issus d’un croisement de juments
locales et d’étalons arabes. La domestication a ainsi fini par conduire à la
constitution de populations dont les génomes sont quasi identiques à
l’intérieur d’une même espèce animale.
Il s’agit là de sélections faites
par l’homme lui-même, de sélections assidues et industrielles, tout l’inverse des
mécanismes « ouverts » (migrations, échanges, flux et dérives, facteurs de
sélection évoqués plus haut), qui ont constitué les groupes humains depuis les
plus anciennes de nos populations.
La connaissance de l’origine de
notre humanité et la compréhension de ce qui fait nos différences, qu’il serait
puéril de nier, mais surtout nos ressemblances, sont la seule façon de dénuer
de sens le mot race chez l’homme.
« Les races humaines n’existent
pas, ou plutôt, elles n’existent que selon des définitions culturelles et non biologiques,
dans nos lois d’homme et non dans celles de la nature, dans l’invective et non
dans la raison »
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