dimanche 9 mars 2014

Nancy Cunard (1896-1965)



La Britannique Nancy Cunard (1896-1965) fut l'amie de Tristan Tzara, le modèle de Man Ray et la compagne de Louis Aragon. Elle est l'auteur de Negro Anthology, livre encyclopédique publié le 15 février 1934 chez l'éditeur londonien Wishart and Company : 850 pages consacrées à l'histoire de l'Afrique, de Madagascar et des Amériques noires, avec 385 illustrations et 250 articles écrits par cinquante-cinq auteurs recrutés parmi les meilleurs connaisseurs des situations coloniales ou dérivées des régimes d'oppression.
Il s'agissait, selon Raymond Michelet, jeune collaborateur de Nancy Cunard et proche des surréalistes, de " montrer, démontrer que le préjugé racial ne repose sur aucune justification… que les Noirs avaient derrière eux… une longue histoire sociale et culturelle ". L'idée de l'ouvrage était venue à Nancy Cunard alors qu'elle exerçait à Paris le métier d'éditrice, appris avec Louis Aragon. Femme militante, journaliste, poète, viscéralement antifasciste, Nancy Cunard était née en 1896 dans un château médiéval du Leicestershire, d'un père riche héritier d'une famille d'origine américaine, et d'une mère née à San Francisco, une mondaine.
Quand éclate la première guerre mondiale en 1914, elle déménage à Londres, où sa mère tient salon. En 1924, elle s'installe à Paris, capitale des libertés artistiques. Dans son appartement de l'île Saint-Louis, " l'ogresse maigre, d'une beauté farouche ", selon Marcel Jouhandeau, aimant les avant-gardes, les poètes, artistes, intellectuels des deux rives de l'Atlantique. En 1928, elle fonde Hours Press, une maison d'édition " qui s'intéresse à l'ethnographie – à l'art africain, océanien et des deux Amériques ", aux tableaux modernes et aux œuvres surréalistes. Hours Press publie Whoroscope, le premier texte de Samuel Beckett, du Ezra Pound aussi, et imprime des programmes de L'Age d'or de Buñuel.
Aragon fait une tentative de suicide quand, en 1928, à Venise, elle tombe amoureuse du pianiste de jazz afro-américain Henry Crowder, né pauvre dans le sud des Etats-Unis – il joue alors en Europe avec le violoniste Eddie South. Nancy Cunard brise le tabou ultime à l'époque : l'union d'une Blanche et d'un Noir américain. Elle le promène en Angleterre, sous le nez de sa mère, Lady Cunard, jugée raciste, et à qui elle adresse en 1931 un cruel pamphlet, Black Man and White Ladyship.
C'est à Henry Crowder que Nancy Cunard dédie Negro Anthology. L'ouvrage est une traversée de " l'Atlantique noir ". Il a été tiré à mille exemplaires, il en reste deux en France, le Musée du quai Branly en possède un, qui a fasciné Sarah Frioux-Salgas, commissaire de l'exposition et responsable des archives et de la documentation des collections à la médiathèque du musée. L'entreprise de recensement – arts, sociologie, musique, poésie… – commence en 1931, alors qu'éclate aux Etats-Unis le scandale des " Scottsboro Boys ", neuf garçons afro-américains, âgés de 12 à 20 ans, condamnés à mort, accusés d'avoir violé deux femmes blanches dans un train traversant l'Alabama.
L'ouvrage est dominé par l'héritage du militantisme noir des années 1920 – le panafricanisme de l'Afro-Américain W.E.B. Du Bois, cofondateur de la National Association for the Advancement of Colored People ; les appels au retour en Afrique du Jamaïcain Marcus Garvey, créateur de la Black Star Line, compagnie de navigation chargée du rapatriement des anciens esclaves vers la terre-mère, en particulier le Liberia, pays fondé en 1822 par la National Colonization Society of America. S'y ajoute l'internationalisme noir et communiste de George Padmore, originaire de Trinité-et-Tobago. Parmi les auteurs, en majorité noirs, on trouve, au côté de Du Bois, Jomo Kenyatta, père de l'indépendance du Kenya, Nnamdi Azikiwe, ou l'écrivaine Zora Neale Hurston, figure centrale de la " renaissance " de Harlem.
Nancy Cunard mourut folle, elle aimait l'alcool, les paradis artificiels et les bracelets en ivoire – pour Man Ray, elle avait posé les bras couverts de ces objets. Nancy Cunard collectionnait des objets africains, aujourd'hui éparpillés, mais photographiés par Raoul Ubac : des bracelets donc, des masques mendé de Sierra Leone, ijo du Nigeria, sénoufo de Côte d'Ivoire… Elle les appréciait, comme ses amis artistes de l'époque, pour leur valeur esthétique.
VM-LM du 08/03/2014



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