La Bouche
Bouche belle, Bouche bénigne,
Courtoise, clere, coralline,
Doulce, de myne désirable.
Bouche à tous humains admirable,
Bouche quand premier je te vey
Je fuz sans mentir tout ravy,
Sur le doulx plaisir et grand ayse
que reçoit l'autre qui te baise :
Mais après que t'ouy parler,
Je pensoye entendre par l'air
Les dictz de Juno la seconde
Et de Minerve la faconde :
Parquoy je dy, ô bouche amye,
Bouche à qui tu veulx ennemye,
Bouche qui faict vivre ou mourir
Tous ceulx qu'elle peult secourir,
Bouche amyable, bouche entière,
Non variable , non legiere.
Bouche se mourant d'un baiser,
Pour toute douleur appaiser,
Bouche riant, plaisante bouche,
Qui baille devant qu'on la touche.
Bouche vouldrois tu emboucher
Celui qui vouldroit te boucher ?
Bouche où git le mien repos,
Bouche pleine de bon propos,
Bouche seulle d'où doit sortir
Ce qui peult mon feu amortir.
Bouche rondelette et faitisse,
Bouche à bien parler tant propice
Que plus on t'oyt, plus on te veult,
Et moins on t'a, plus on s'en deult,
Ne souffre point que ta beaulté
Desdaigne ma grande loyauté,
Mais, ô Bouche heureuse et honneste,
cy recoy, entend ma requeste.
Bouche vermeille, Bouche ronde,
Bouche au dire et faire faconde
Autant, ou plus, qu'autre qui vive.
Bouche digne, de grace vive,
Bouche garnie par dedans
De deux rateaux de blanche dents.
Bouche sans nulle tache noire,
Blanche, dy je, plus que l'ivoire,
Bouche à qui fuz autant fidelle
Comme elle est amiable et belle,
Bouche où n'y a chose à redire,
Sinon d'accorder, et me dire :
Amy je suis Bouche pour toy,
Puis que tu as le cueur pour moy :
Et veuil pour ton mal appaiser
Que de moy sentes un baiser.
Dy bouche, Bouche, en me baisant
Ce que tu dis en te taisant,
Lors auray le bien que mérite
Le mal que pour moy me herite
En esprit, en ame et en corps
Sans tel espoir : si scauray lors,
O Bouche à bien parler propice,
Que mieulx encore fais l'autre office,
Donnant en fin le demourant
Qu'on ne prend jamais qu'en mourant.
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