mardi 12 février 2013

L’alphabet des femmes in genere

 L. Perrillat – Plaisirs d’archives : quelques anecdotes… sur l’apanage de Genevois

Cette expression constitue le titre d’un court texte figurant sur la page de garde d’un livre
conservé à la bibliothèque des archives départementales de la Haute-Savoie. Disons tout d’abord
quelques mots de l’ouvrage en question. Il s’agit d’un livre écrit par Claude Baptendier, le Tractatus
liberorum, parentum ac fractrum, succincte et concise, integram legitimarum materiam continens. Ouvrage
relativement rare, il a connu en son
temps un relatif succès puisqu’il a été publié en 1560, en 1582 et, pour ce qui concerne notre
texte, il s’agit d’une édition annécienne de 1576, chez Jacques Bertrand.
Il a été acquis il y a quelques années par Hélène Viallet pour le compte des Archives. La
reliure est constituée d’un parchemin du XIVe siècle. L’intérieur des plats est recouvert de papier,
où l’on peut deviner le texte d’un indulgence du pape Paul V. Ceci nous permet donc de dater la
reliure du début du XVIIe siècle (le pontificat de Paul V dura de 1605 à 1621). Sur la couverture,
on trouve : « Battandier De la légitime », écrit de la main de Desarnod, un des propriétaires du
livre. Une des pages de garde et la page de titre comportent en effet plusieurs ex-libris
intéressants. Sur la page de garde, le premier, un des plus anciens datant en tout cas du
XVIIe siècle, a été malheureusement copieusement biffé par un des possesseurs postérieurs. On
peine donc à y lire : Ex libris P… …luti ……….advocati in supremo Sabaudiae Senatu, suivi d’une
signature rendue inintelligible à cause de l’encre maculée. Il s’agit donc d’un avocat au Sénat de
Savoie, dont le prénom commencerait par la lettre P et dont le nom comporterait les syllabes -
luti ; malgré des recherches dans des listes d’avocats (MUGNIER, 1898-1900), je n’ai hélas pu
l’identifier. On doit en tout cas à ce juriste chambérien un premier « envoi », qui n’a pas été rayé
par les autres possesseurs du livre, peut-être en raison de son caractère amusant :
Bon advocat, mauvais voisin,
Bonne terre, mauvais chemin,
Bonne mule, mauvaise beste,
Bonne femme, mauvaise teste.
Assurément, l’auteur de ce « quatrain » qui est l’avocat chambérien, puisque l’écriture est la même
que les caractères biffés, parlait en connaissance de cause, même si l’ambiguïté est de mise. En
effet, que faut-il sous entendre entre chaque partie de vers : qui est un avocat est un mauvais
voisin ou qui a un bon avocat est un mauvais voisin ? A chacun de juger… Deux autres
signatures garnissent cette page, la première « Bornens » datant du XVIIe siècle, l’autre
« Chenevat » ou « Chevenat » vraisemblablement du XVIIe siècle. Sur la page de titre, figurent
encore deux autres ex-libris, incontestablement du XVIIIe siècle : « Antonioz » et « Desarnod ». Il
s’agit là sans doute de professionnels du droit qui auront exercé auprès d’un tribunal savoyard et
peut-être apprécié la dérision de ce proverbe…
La matière de l’ouvrage ne se prête pourtant guère à la plaisanterie. Son auteur Claude
Baptendier (ou Battandier) jouit d’une réputation de jurisconsulte fameux ; il exerça la charge
d’avocat fiscal en Genevois et Faucigny (1561-1578), puis de collatéral à Annecy (1578-vers 1595)
(PERRILLAT, 2006, p. 830-831). Savants commentaires des lois et somme raisonnée
d’ordonnances marquantes s’alignent selon un ordre caractéristique de l’humanisme juridique
alors triomphant, émaillé çà et là de références aux codes romains. Le texte décrit pour l’essentiel
les régimes successoraux et leurs caractéristiques, constituant ainsi un ouvrage de référence en
droit privé.
Sous ses aspects austères, le document contient dans les dernières pages de l’ouvrage,
laissées blanches à l’édition, toujours de la main de notre avocat chambérien, un curieux Alphabet
des femmes in genere. J’en donne ici le texte et une proposition de traduction :
Alphabet des femmes in genere
Avidissimum Animal            Animal très vorace
Bestiale Barathrum             Ventre bestial
Concupiscentia Carnis        Concupiscence de la chair
Duellum Damnosum           Duel dommageable
AEstuans Aestus                Chaleur écumante
Falsa Fides                        Fausse foi
Garrulum Guttur                 Gorge bavarde
Herimnis [sic pour Erinnis]  Armata Furie armée
Kahos calumniarum            Chaos des calomnies
Lepida Lues                        Fléau charmant
Mendacium Monstruosum   Mensonge monstrueux
Naufragium Vitae                Naufrage de la vie
Odii Opifex                         Ouvrière de la haine
Peccati Auctrix                    Pécheresse originelle
Quietis Quassatio               Quiétude cassée
Regnorum Ruina                Ruine des royaumes
Sylva Superbiae                 Forêt de l’orgueil
Truculenta Tyrannis            Tyrannie terrible
Vanitas Vanitatum               Vanité des vanités
Xantia Xerxis                       Blonde de Xerxès
                                          Yvronesse Eshontée
Zelus Zelotipus                  Jalousie des jalousies
Notre avocat misogyne se pique encore d’être un bibliographe averti puisqu’il juge
pertinent d’ajouter pour ses lecteurs : « vide librum intitulée L’alphabet des imperfection et malice des
femmes reveu, corrigé et augmentée d’un friant dessert pour les cortisantz et partisans de la femme mondaine par
Jaques Olivier ». Et, de fait, un ouvrage a bien été publié sous ce titre, ou à peu près : Alphabet de
l’imperfection et malice des femmes, receu (sic), corrigé, & augementé (sic) d'un friant dessert et de plusieurs
histoires pour les courtisans et partisans de la femme mondaine, par Jacques Olivier, « licencié aux loix et au
droit canon ». Si on se fie au titre, celui de l’édition de Rouen en 1635 s’en rapproche le plus car
les autres éditions (1658, 1665) comportent des variantes discriminantes. Cela nous permet donc
de dater cet alphabet (il est postérieur à 1635) ou du moins d’indiquer à quelle date l’avocat
chambérien a effectué son plagiat car, en réalité, ce texte circule en Occident depuis le milieu du
XVe siècle. C’est en fait un célèbre extrait du Confessionale defecerunt, traité de morale (1442) de saint Antonin, archevêque de Florence (1446-1459). Ce dominicain s’y distingue notamment par une
attitude malveillante ou à tout le moins méfiante envers les personnes de sexe féminin
(ARROYO, 1989)8… Signalons cependant quelques oublis ou variantes de notre document du
XVIIe siècle : pour la lettre D, on rencontre parfois Dolorosum duellum (Duel douloureux) et, pour le Y, Ymago idolorum (Représentation des idoles). Pour retrouver le texte complet du Confessionale, ilconviendrait d’ajouter les « sympathiques » qualificatifs de la lettre I : Invidiosus ignis (Feu haineux).
Cet alphabet prouve en tout cas le succès du moraliste florentin, en une période de rigorisme
tridentin et, à bon droit, on peut plaindre l’épouse de l’avocat chambérien, si tant est qu’il fût
marié, étant donnée sa misogynie.


Alphabet de l'imperfection et malice des femmes

1 commentaire:

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